lundi 28 mai 2012

Aux arts, citoyens!


Taxé dans Siné-Mensuel...

Durant cinq ans. Nous, les dessinateurs de presse, les humoristes, sommes payés les Romano les Guéant, Lefebvre et autres Besson... et avons régu­lièrement fait les frais de la censure (Porte, Guillon,Siné).
  Pendant ce temps, étaient donc passés nos lointains cousins, les. Artistes contemporains ?
À l'époque de Dada, les satiristes faisaient pourtant bon ménage avec les artistes. Mais il y a belle lurette que ces derniers ont quitté le navire de la contestation et pour cause! En France, ils ne vivent quasiment que du denier public Ils sont bien intervenus timidement durant la campagne.Mais c'était juste pour réclamer des ronds (pétition en faveur de la création artistique à partir de 2012, etc.). Ils ne se préoccupent guère de la misère humaine ou des magouilles politiciennes. Ils ne s'indignent que quand on leur rabote leur petite rente.
   Pour ce qui est d'en croquer, tout leur fait ven­tre. L'argent, lui, n'a ni goût ni couleur. Du moment qu'ils peuvent continuer d'étaler leurs slips sales dans les musées, poser leurs fesses en résidence nourris, logés, flagornés, ou conter généreusement les affres de leur nombril (sacrée Sophie Calle!), le pognon des Frac, Drac, de la commune, du département, PS, UMP et pourquoi pas FN est tou­jours le bienvenu. En 2000, combien d'artistes autrichiens se plaignaient encore de Jorg Haider après qu'il eut augmenté leurs subsides ?  
  On en a même vu se mettre à le soutenir ouvertement.C'est pas Buren et ses bandes de 8,7 cm qui diront le contraire... Fin des sixties, l'homme aux rayures côtoie l'extrême gauche, puis dans les années 1980, il tem­père sa fougue lorsqu'il fourgue ses indispensables colonnes à Tonton (facture finale : 5 millions d'euros). À présent, totalement apolitique, il loue ses services de rayure professionnel à la maison Hermès.
L'art abstrait, ça sied à toutes les tendances, faut pas croire. Dans les années 1930, Goebbels lui-même était un grand amateur d'avant-garde. Quant aux futuristes, ils s'ébattaient gaiement sous Mussolini. Cessons de conférer à des bouses absconses, rondes ou carrées, un un quelconque contenu politique.
   Quand Picasso évoque Guernica, ce n'est pas en chiant dans une boîte de conserve ou en pondant une espèce d'abribus, tel le Mur de la paix (Champ-de-Mars, Paris), flanqué du mot paix en 32 langues, la belle affaire! Ainsi, l'auteur de ce chef-d'œuvre, Clara Halter, épouse de son mari et pâle épigone de l'artiste allemand Jochen Gerz, est-elle par tant de hardiesse devenue, en France, le parangon de l'art humaniste.
Trêve de persiflage, nous avons tout de même à nos côtés un contre-exemple : Ernest Pignon-Ernest.
   Quand je dis les « artistes » je parle pas de ces milliardaires dont il n'y a de toute façon rien à attendre. Les Koons, Murakami, Hirst, eux, jouent dans une autre cour et font leur beurre auprès des spéculateurs. Quoique monsieur Aillagon ne rechigne pas à mettre au pot avec force argent public pour leur en donner encore plus et valoriser en les exposants à Versailles les collections de son ami Pinault.
Non, je parle de nos grands artistes français, ceux qui vivent de nos impôts et dont on pourrait attendre un juste retour à l'endroit de leurs com­patriotes qui souffrent. Eux dont les croûtes encombrent tant d'obscurs sous-sols humides, que nous offrent-ils en échange de notre contribution à leur abondante production ? De nouveaux con­cepts, paraît-il, apparemment nécessaires aux insti­tutions qui les font sourdre. Vous voulez en savoir plus ? Demandez à l'artiste, qui vous répondra : « Je mène une réflexion sur les dimensions spatia­les du lieu que j'investis et dans lequel le specta­teur se faisant interacteur s'invite à une lecture synesthésique de mes dispositifs... » Une élégante manière de dire : « Va te faire enculer. »
Février 2010, la Chinoise Ko Siu Lan, en rési­dence aux Beaux-Arts de Paris, est invitée à y exposer. Elle tend des bannières à l'extérieur de l'édifice sur lesquelles on peut lire « travailler/ moins/gagner/plus ».
Devant tant d'audace, le directeur de l'école, Henry-Claude Cousseau, se monochrome litté­ralement le fond du calbute et ordonne sur-le-champ le démontage. Amusant, de voir tant de pleutrerie de la part de gens qui n'ont de cesse de revendiquer la « prise de risque ».

« L'artiste doit savoir prendre des risques », OK...

   Durant la campagne présidentielle de 2012, le collectif www.22avril-2012.net propose aux internautes de se photographier de dos puis de réaliser un poster à coller par-dessus une affiche électorale afin de « récuser le système de représentation politique » sans pour autant « mettre en avant de cause particulière ». On me permettra de douter de l'efficience d'une telle démarche.

Quel risque l’artiste prend-il donc à exprimer ses opinions?


   En 1972, l'Allemand Klaus Staeck, dans la veine de John Heartfield, réalise et placarde l'affiche : « Les riches doivent devenir encore plus riches. Votez chrétien-démocrate ». Et aux chrétiens-démocrates qui le menacent de porter plainte de préciser : « Si vous souhaitez que les riches ne deviennent pas plus riches,alors dite-le et je réaliserai une nouvelle affiche. »
   Ça a tout de même plus de gueule que les ges­ticulations plastico-artistico-contemporaines, non ? (Voir également Hans Haacke, artiste conceptuel engagé, dont justement, les concepts sont tout à fait limpides.)

Pourquoi sont-ils si mous?

   Je dois avouer qu'en tant que prof aux Beaux-Arts à Metz depuis douze ans, je suis parfois amer de constater que les enseignements se sont excessive­ment policés depuis que j'y étais moi-même étudiant.
En 2006, mon directeur d'alors avait tenté en vain de me censurer une expo intitulée Présidé-mentielles. « On ne parle pas de politique dans une école d'art », s'était-il emporté. Il était ensuite par­venu à me faire lourder, arguant qu'ils s'étaient reconnus, lui et son adjointe, dans une de mes BD (moi qui ne dessine que de jolis petits cochons)! Viré donc, avec plainte à l'appui (classée, forcé­ment), convocation chez les bourres, etc. L'arrivée de la gauche à la mairie avait ensuite permis ma réintégration.
Néanmoins, dans cette école comme dans tant d'autres, la mode est plus que jamais à se palucher
palucher le citron sur des concepts fumeux plutôt qu'à débattre des vrais problèmes. Ce qu'on demande aux élèves à présent, c'est de se prosterner devant des escrocs comme Beuys. Par contre, Francis Bacon, Lucian Freud, David Hockney, parce qu'ils savent peindre, sont bannis.
    Il faut savoir monter des dossiers de subvention, montrer sa trogne à tous les vernissages, cirer les pompes aux mécènes, faire du boulot d'animation dans les grand-messes, Nuits blanches et autres pince-fesses, faire les petites mains pour des clopinettes au Centre Pompidou (exemple : reproduire patiemment sur les murs au stylo bille les modèles de Sol Lewitt durant des semaines)... Mais surtout ne jamais chier dans la colle. Quant aux têtes blondes, elles semblent s'exécuter de bonne grâce. Les punks, les enragés, sont rapide¬ment bordures puis exclus. « Pas assez docile », ai-je déjà entendu dans la bouche d'un enseignant!
   Exit le dessin d'humour, la BD, le documentaire, le travail d'auteur en général, et le débat d'idées. Ce qui raille, dénonce, polémique est vulgaire. Aujourd'hui, les artistes en herbe doivent singer leurs aînés, pondre du sous-Boltansky, du sous-Raynaud, du sous-achin. La forme a définitivement bouffé le fond. On juge le travail d'un auteur sur la mise en page, la typo. Tout ça plaît bien au ministère, forcément, ça ne fait pas de vagues.

À coup sûr, si un Reiser se présentait aujourd'hui au concours d'entrée, il serait refoulé direct. Au fait, qui parlait de liquider l'héritage de 68 ? Je vous assure que dans les écoles d'art, ça ne fleure plus tout à fait l'atelier populaire.


                                                                                                                                           LINDINGRE

Siné Mensuel n°9 - mai 2012













8 commentaires:

LE MAMI a dit…

LBM,
Quand t'affiches comme çà tu me plais beaucoup et me fais bien plaisir.
H./S.

solveig a dit…

Fort intéressant article !!!
qui met du baume au coeur à la piètre critique d'art que je suis, surtout l'Art moderne ...

LE MAMI a dit…

LBM
J'ai redirigé ton post sur ma page facebook, mon neveu Pierre en a pris connaissance et ajouté le commentaire suivant :
"Dommage, le triple j'aime n'est pas possible. Cela fait du bien de lire cela. Et c'est follement drôle en plus".

le bourdon masqué a dit…

Une raison de plus d'être un assidu lecteur de ce mensuel (pub)

Oui Hervé c'est la contre partie de la non "monétisation" de ce blog.

Solveig cela ne me semble pas être une critique de l'art post, néo, elastico, etc... Mais plutôt une dénonciation des "fonctionnaires" artistiques qui pantouflent.
Je vais surprendre dans les chaumières, oui l'art m'intéresse mais pas dans son emballage actuel et ce marketing qui lui colle à la semelle comme un chewing-gum en période caniculaire.C'est encore et toujours un marqueur de la différence de classe sociale, pour ceux qui pensait que la lutte des classes était finie je les laisse réfléchir.
Bzzz...

versus a dit…

Article passionnant LBM, mais cela avait déjà été dénoncé en ces termes dans les années 90, notamment par la revue Artension.
Et le pouvoir multibords est un grand récupérateur, un grand recycleur de révoltes artistiques.
Mais cet article décrit bien la réalité de la situation française dans un contexte international.

versus a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Barbara a dit…

bourdon non tu surprends pas même idée ici

je repasse dès que possible pardon de ces passages éclairs en ce moment
"à l'issue de mon gré" :o)

Unknown a dit…

Excellente idée de publier cette protestation!

Faut leur envoyer Voina.
Et alors, ça secouerait le cocotier de tous ces parasites.
http://froufroudanslesfeuilles.blogspot.fr/2011/10/voina-resiste-coups-de-braquemard.html